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Récits des monts et jungles malais


La folie des grandeurs et l'ordre singapouriens, presque oppressants, s'éloignent peu à peu tandis que nous dévorons nos premiers kilomètres en Malaisie. Dans ce nouveau pays, nos 4 roues lèchent d'abord les plages sauvages et désertes de la côte Est, bordées d'une jungle dense; avant de transpercer les splendides forêts du centre, Altaïr entraînant sa fougueuse apprentie sur les premières bosses.


Après Kuala Lumpur, notre route emprunte les côtes des monts malais. Dans la montée à travers l’épaisse jungle de Bukit Fraser, la grande diversité de singes nous encourage par leurs acrobaties au dessus de nos têtes. Parmi les primates, les différents macaques et singes à crêtes, les langurs noirs ont su se démarquer. Sur leur pelage sombre et touffu, seuls se détachent les yeux et la bouche -exhibés par d’incongrues tâches blanches dans cet habit noir. Habillés de leur cagoule et suivis de leur longue queue, les cambrioleurs fuient à notre passage, dans un impressionnant ballet qui les voient par dizaine sauter des hautes cimes, se balancer aux lianes et grimper aux bambous géants.


Cette nuit là, le bivouac au sommet est particulièrement impressionnant : la nuit est emplie d’un vacarme inconnu. La splendeur de la forêt ne s’admire pas qu’avec le seul sens de la vue, qui nous obsède et nous aveugle ; elle s’entend aussi. Nous n’observerons pas ces dizaines d’animaux qui nous entourent. Nous ne saurons pas à quoi ressemblent ces troubadours qui semblent souffler dans une corne, tout prêt de nous. Encore moins nous ne les capturerons dans nos appareils, devenus indispensables, témoins obligatoires et nécessaires de nos accomplissements et actions quotidiennes. Pourtant, la perception de leur vie, les sentiments mêlés de symbiose et de crainte, sont plus vrais que jamais.



Tout juste redescendus, nous nous attaquons à la longue ascension vers les Cameron Highlands et leurs 1600m d’altitude. La plus difficile étape que nos vélos aient connu ensemble. À 1000m, quelques tristes serres viennent perturber la forêt. Ici, on profite du climat plus frais pour faire pousser fraises, framboises et autres fruits de nos pays tempérés. En continuant l’escalade, nous parvenons finalement à la raison principale qui nous a poussés dans cette longue montée. Face à nous se déroulent les champs de thé malais, longues vagues moussues aux différentes teintes de verts qui ondulent sur le paysage vallonné. Leurs couleurs et la mise en exergue du relief sont incontestablement splendides.


Ne nous y méprenons pas, ici, rien à voir avec la beauté brute et naturelle de la forêt primaire. Nous avons bien affaire à un champ, humain, en lieu et place de cette forêt originelle. Alors, pourquoi nous extasions nous devant une beauté fabriquée, quand nous dénonçons avec ferveur le palmier et ses méfaits et écrivons une ode à la forêt ? Quelle est cette beauté dont nous parlons, n’y a-t-il pas une incohérence dans nos ressentis ? La réponse se trouve certainement dans la nature ponctuelle et exceptionnelle de ces champs. C’est parce que nous le voyons soudain apparaître au détour d’un virage, au sortir de la forêt, qu’il nous apparaît beau. Non ce n’est pas naturel ; mais oui, la patte de l’Homme peut être belle, tel le temple au sommet de la montagne, lorsqu’elle sait subtilement et modérément se fondre dans la nature. Le palmier, promu maillon indispensable de nos sociétés et entraîné dans le tourbillon exponentiel, se doit ainsi de tout écraser, de tout recouvrir. Si nous devenions tous anglais, les collines de thé à perte de vue devenues nécessaires deviendraient sans aucun doute elles aussi d’une lassitude infinie -et un ennemi de la biodiversité. Mais sortons de ce cauchemar : les britanniques ne sont que 67 millions et nous contemplons ces inhabituelles et anecdotiques collines vertes.



80 kilomètres de descente ; nous voilà au milieu d’un tout autre paysage. Dans la région de Perak, de magnifiques pains de sucres coiffés d’une végétation débordante peuplent la vallée. Les nombreux Bouddhas et quelques figures du Confucianisme et du Taoisme nous accueillent dans ces temples de calcaires, où nous prenons plaisir à nous perdre à vélo et à pieds.

Mais ici encore, l’équilibre est fragile. Plutôt que d’y voir des monts simplement beaux, certains préfèrent y voir des montagnes d’argent. Dans les coulisses des sites les plus connus, peu à peu, les falaises sont grignotées par les pelleteuses, leurs débris emportés par des camions dans l’usine voisine qui tâche le paysage. On se demande si en revenant dans 20 ans, nous ne trouverions plus que des Bouddhas faisant face à des tas de poussières. Et, COCORICOOO ! Quelques géants français du ciment sont ici largement présents, toujours prêts à faire loins de nos regards l’impensable chez nous. Pourtant, que ces montagnes sont belles…

Nous serpentons dans ces fantastiques paysages en péril jusqu’à la paisible et culturelle Taiping. Ses lacs, encadrés de hautes montagnes et bordés de gigantesques arbres à pluie centenaires venant saluer les eaux, sont un havre de paix qui invite au repos. Le compteur de Charlie affiche 4000 kilomètres, tout juste, tandis que nous dépassons les 1400 kilomètres à 4 roues. Il est temps de s’arrêter.


Dans les villes historiques de Taiping, Ipoh et George Town, nous apprécions la grande diversité culturelle, les différentes influences architecturales et le cachet des petites ruelles, baignées dans une atmosphère tropicale de végétation envahissante et de peinture bellement décrépite. Et lorsque de splendides fresques viennent contraster avec l'histoire de leur support mural, l'atmosphère est délicieusement complétée.

La Malaisie se termine pour nous avec la traversée des états du Nord: Kedah et Perlis, véritables garde-manger du pays avec leurs étendues de rizières verdoyantes. Surtout, Kedah est connu pour son île aux aigles: Langkawi, que nous bouclons à vélo -bien entendu. Pendant notre tour, nous ne résistons pas à troquer nos fidèles compagnons pour un kayak dans la mangrove; et pour les vieux amours que sont nos chaussures de randonnées, indispensables pour conquérir les verticaux pics de calcaire de l'île loin des masses touristiques.

Une dernière halte enchantée dans ce beau pays.


Selamat Tinggal Malaysia !





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