[ ENGLISH VERSION BELOW ]
Mardi 23 Avril 2019 :
11h30. On s’affaire sur le pont pour régler les derniers détails. On quitte le port d’Opua. Un joyeux équipage de 3 avec qui l’aventure Antipode Sans Carbone commence : Frank, notre passionnant capitaine, ancien prof de Philadelphia aux milles vies ; Camille, une voyageuse et grimpeuse marseillaise ; et moi. Tout ce beau monde emmené par notre beau voilier de 43 pieds Another Adventure - Adi pour les intimes.
On hisse la grand-voile, on déroule le foc, et on file sur l’eau calme de Bay of Islands. Adi dépasse bientôt sa pointe Nord et le rocher « The Niddle » : l’océan Pacifique s’ouvre à nous, tandis que le plat de la baie laisse place à une légère houle. Adi s’éloigne peu à peu de la côte vers le Nord-Est. On aperçoit les collines du Northland et le North Cape jusqu’au magnifique coucher de soleil qui nous est offert. Demain matin, Aotearoa aura définitivement disparu derrière la ligne d’horizon. « Bye bye wonderful country and breathtaking sceneries, thanks for all! See ya soon… »
Le pile ou face a décidé que j’aurai les quarts de 10h à 14h et de 22h à 2h. C’est l’heure de mon premier quart de nuit et c’est alors un nouveau monde qui s’offre à moi. Les autres dorment ; je suis seul au milieu de l’océan, porté par Adi. La nuit est claire, grâce à une Lune presque pleine. Une surprise m’attend en regardant dans l’eau : des planctons phosphorescents s’activent au passage d’Adi, créant une véritable trainée d’étoile. Le ciel et l’océan scintillent. Adi file droit vers le Vanuatu. A 2h, Camille vient me relayer et il ne me faut pas plus de 30 secondes pour m’endormir.
Mercredi 24 Avril 2019 :
On avance à une bonne allure, 7 nœuds, 8 nœuds, des pointes jusqu’à 10 nœuds, toujours dans la bonne direction. La mer est beaucoup plus agitée aujourd’hui et Adi tangue et roule de manière assez impressionnante pour les néophytes que Camille et moi sommes. Une houle de 2m nous arrive par la poupe à tribord, tandis qu’une secondaire plus petite la croise par bâbord. Cela dure toute la journée et le spectacle donné par Adi, gardant fièrement le cap, est fascinant.
Un autre spectacle tout aussi époustouflant se déroule dans les airs : celui des oiseaux marins dansant au vent autour de nous. Dans l’après-midi, un élégant albatros nous accompagne pendant quelques minutes, avant de nous dépasser. On le recroise plus tard, posé à la surface, semblant nous attendre ; mais il ne repartira pas avec nous. Ceux qui nous régalent le plus sont les pétrels : d’une grande envergure avec leurs ailes en V, ces oiseaux bruns sont des planeurs hors-pairs. Ils rasent les vagues et profitent ainsi de l’appel d’air créé pour reprendre de la hauteur et repartir à toute allure, sans jamais gâcher un battement d’aile. Techniciens d’exception, fainéants, ou un peu des 2 ? A vous de juger…
Vendredi 26 Avril 2019 :
Ce matin, la légère brise de Sud-Sud-Est nous arrive par la poupe. Captain Frank m’explique que pour tirer le meilleur de ce léger souffle dans le dos, nous pouvons faire basculer le foc sur l’autre bord à l’aide d’un poteau que l’on déploie horizontalement, tout en gardant la grand-voile du même côté – à tribord. Ca marche ! On avance maintenant doucement mais surement, à 5 nœuds plein Nord. Dans cette configuration, le foc n’agit plus comme une aile d’avion mais comme un parachute : en d’autres termes, ce n’est plus le « lift » généré qui propulse Adi, mais le « draft ».
Nous venons d’admirer un nouveau superbe coucher de soleil en dégustant un bon couscous maison – la vie est dure, je vous dis. Quand un grèbe blanc tacheté de noir apparaît dans les dernières lueurs du jour. Le premier de la traversée ! Il s’approche très prêt, par de lents et réguliers battements d’ailes, si lents qu’il semble être en apesanteur. Il s’amuse avec Adi, tournant dans le vent créé par ses voiles : 1 tour, 2 tours, … 5 tours, et puis s’en va ! Adieu, l’artiste !
Minuit, milieu de mon quart. Le vent a totalement tourné, et une solide brise d’Est nous parvient. Revenue dans sa configuration optimale, Adi file à toute allure en surfant sur la légère houle qui lui arrive par l’arrière. 9 nœuds de moyenne, sans que je n’ai rien à faire. Grisant. Je félicite Adi et me surprends même à l’encourager par des caresses sur la poupe, tandis que je suis adossé derrière la barre la tête au vent. Ils disent qu’un voilier est un être vivant, que c’est une dame ; et que ceux qui ne le croient pas n’ont rien compris. Je crois que je commence à comprendre… « 4 jours en mer, et il se prend déjà pour Moitessier ce … ! ». Je vous entends d’ici ! Et vous avez sans doute un peu raison. Il faut croire que ça s’attrape vite ce virus… Pour ceux à qui Moitessier n’évoque rien, je vous souhaite d’avoir un ami comme Romain, qui lui aussi vous fera découvrir « La Grande Route ».
Samedi 27 Avril 2019 :
Branle bas de combat sur le pont. On vient de dépasser quelque chose qu’on n’a pas pu formellement identifier à bâbord, mais qui ressemblait de loin à un canot de sauvetage – ou quelque chose du genre. Chacun à son poste, on vire de bord aussi vite que possible et on remonte notre sillage pour tenter de retrouver l’OFNI – Objet Flottant Non Identifié. Le cœur bat un peu plus vite car on ne sait pas vraiment ce que l’on va trouver perdu dans cet océan. On le repère à nouveau ! On s’approche… et on tombe sur un vulgaire tuyau en plastique, rattaché à un poteau de bois par des filets de pêche. La tension retombe et on s’échange des regards amusés en revirant vers le Nord. Cet incident seul vient perturber cette journée où tout semble parfait. Nous avons maintenant largement dépassé la moitié de la traversée et sommes définitivement entrés dans les tropiques. Les jeans et polaires ont été troqués contre les shorts et T-shirt. Summer is coming ! On est bien, et l’impression d’être hors du temps grandit.
Lundi 29 Avril 2019 :
Depuis 48h, une houle consistante de 3m, avec une très courte période, nous touche par le Sud-Est. Elle est accompagnée de forts vents jusqu’à 30 nœuds soufflant de la même direction. Ce sont les restes d’une tempête passée bien plus à l’Est, vers les Fidji ; nous savions que ce gros temps nous parviendrait. Rien d’insurmontable. Mais ça bouge beaucoup sur le bateau ! Sans discontinuer, et sans possibilité de demander une pause pour reprendre son souffle, bien-sûr. On prend 3 ris pour limiter la prise au vent.
Les quarts de nuit sont particulièrement éprouvants, d’autant plus que la Lune a également décidé de m’abandonner : elle boude le début de nuit et ne se lève désormais que très tard, après la fin de mon quart. Seule la voie lactée, se confondant dans le sillage étoilé d’Adi, éclaire timidement la nuit.
A mesure que l’on s’enfonce dans les tropiques, les poissons volants se joignent à la partie… On a tous entendu ce nom, sans vraiment savoir ce qui se cachait derrière ; ou du moins, c’était mon cas. Maintenant que je les vois de mes propres yeux, l’appellation prend tout son sens : pour échapper à leurs prédateurs – en l’occurrence, Adi, qui ne désire pourtant que jouer avec eux… ; ils bondissent hors de l’eau et volent, virent, zigue-zaguent dans les airs sur plusieurs dizaines de mètres, grâce à de frénétiques battements de nageoires. Finalement, leur condition de poisson les rattrape, leur rappelle que leurs nageoires spécialement allongées et profilées, n’en font pas des oiseaux pour autant ; et ils s’écrasent inévitablement à la surface dans un concert d’éclaboussures. La plupart, d’un teint bleuté et pas plus gros qu’un maquereau, volent en escadrons de 5 à 30 unités. D’autres, plus imposants – jusqu’à 50 cm ; exhibent des nageoires orangées et semble être de nature plus solitaire. Plus haut dans le ciel, les fous se sont lancés dans la valse des « vrais » oiseaux – pardon messieurs les poissons volants, malgré vos remarquables efforts, vous ne nous trompez pas. Les fous sont également d’excellents voleurs : leur corps élancé et leurs amples ailes à pointe noire, en forme prononcée de V, leur procurent des atouts naturels indéniables. Le bec bleu de ceux-ci leur enlève cependant un peu du sérieux qu’ils tentent d’afficher. Adi ne les intéresse guère et ils ne s’attardent pas : nous sommes simplement sur leur route. « Pas le temps, j’ai mieux à faire. Essaie de me capturer dans l’objectif si tu peux ! » Pari accepté ; pari gagné – par Camille.
Mardi 30 Avril 2019 :
Terre à l’horizon ! Il est 6h. Dans les premières lumières de la journée, une île se distingue au Nord. Anatom, terre la plus au Sud de l’archipel du Vanuatu émerge du Pacifique ! Une quarantaine de miles nautiques nous séparent encore. Après une semaine encerclés à perte de vue par les vastes étendues du Pacifique, l’excitation est grande… A mesure que l’on s’approche, sa silhouette se dessine plus clairement : un ensemble de hautes collines vertes, entièrement recouvertes d’une dense forêt vierge, se dressent, prenant leurs racines directement dans l’océan. On dépasse les récifs coralliens à fleur d’eau où la grosse houle se brise et on pénètre dans une baie, entièrement abritée du vent et des vagues. On baisse la grand-voile et on descend l’ancre dans une eau cristalline, pour la première fois depuis 7 jours.
Il est midi. Nous sommes arrivés au Vanuatu. La traversée nous aura pris très exactement une semaine, de Opua à Anatom. Pas une heure de plus ; pas une heure de moins.
Plus un mouvement, plus un bruit. Quelle étrange impression, on avait oublié que c’était possible.
Sur la rive, à 300 mètres de nous, vit paisiblement un village. Quelques barques colorées et pirogues amarrées dans le sable ; des maisons en bois, bambou et feuilles de palmiers, quelques une en briques, donnent directement sur la plage, à l’ombre de la forêt qui s’avance jusqu’au rivage. On aperçoit des habitants sur la plage, qui semble être la seule « rue » du patelin.
Officiellement, nous n’avons pas le droit de poser pied à terre – il n’y a pas de douane sur cette petite île, bien-entendu. Mais la tentation est trop forte. Avec la bénédiction de Captain Frank, on plonge du pont et nage vers la plage.
Morning morning, Vanuatu !
ENGLISH DIARY
New Zealand - Vanuatu Passage: from Opua to Anatom _ Travel Diary
Tuesday, 23rd April 2019:
11:30 am. We fix the last details on the deck and we leave Opua’s marina. The adventure Antipode Sans Carbone is starting with Frank, our inspiring Captain, a retired teacher from Philadelphia who has thousands stories to tell; and Camille, the other crew member, a world traveler and climber from Marseille. We are led by our beautiful 43 feet mono hull sailing yacht, Another Adventure – Adi for friends. We lift the mainsail, we tight the jib and we enter in the calm waters of Bay of Islands. Adi is soon passing its north end and the rock “The Niddle”: the Pacific Ocean is opening its gates to us and welcomes us with a small swell. Adi is slowly moving North-East. The Northland and the North Cape are visible on port until the wonderful sunset we are offered. Tomorrow morning, Aotearoa will have disappeared behind the horizon line. “G’bye amazing country and breathtaking sceneries, cheers for all! See ya soon…”
The coin decided that I will ensure the watches from 10am to 2pm and from 10pm to 2am. My first night watch is starting and a whole new world appears. Frank and Camille are asleep; I am alone on the middle of the ocean, carried by Adi and winds. The night is clear thanks to an almost full Moon. A surprise is waiting for me in the water: phosphorescent planktons are activated by Adi, forming a stairway of stars behind us. Sky and water are shining. Adi sails straight to Vanuatu. At 2am, Camille pops up, ending my dreamy watch duty. I fall asleep in less than 30 seconds.
Wednesday, 24th April 2019 :
We are sailing fast, 7 knots, 8 knots, up to 10 knots sometimes, always in the good direction. The sea is much rougher today, Adi rocks, pitches and rolls in an impressive way for the newbies Camille and I are. A 2m swell comes to Adi’s stern by port, while a smaller secondary one is crossing it by starboard. The show given by Adi, proudly keeping the heading all day long, is fascinating.
Another breathtaking show is occurring in the air: seabirds are surrounding us, dancing in the wind around Adi. In the afternoon, an elegant albatross indicates us the way, before passing us. One hour later, our roads cross again: he is resting on the water surface, probably waiting for us; though, he will not go back with us. The most remarkable are the petrels: these large dark seabirds with V-shaped wings are marvelous gliders. They brush the waves to use the wind created, and gain back altitude at full speed without wasting any wing flapping. Exceptional technicians, lazy workers, or a bit of both? You judge…
Friday 26th April 2019 :
This morning, the slight breeze from South-South-East comes from the stern. Captain Frank explains me that to take the best of this blow in the back, the jib can be set on the opposite tack using a horizontal pole, while the mainsail remains on the same side – on port. It is working! We are now slowly but surely moving at 5 knots, straight to the North. In this configuration, the jib is not acting like an aircraft wing anymore but like a parachute: in other words, Adi is not propelled by the lift generated but by the drag.
Another superb sunset has just been offered to us while we were enjoying our homemade Moroccan style couscous – life is hard, I’m telling you. A large grebe appears in the last sunshine of the day. First one of the passage! He is approaching very close, flapping slowly and regularly, such slowly that he seems to be out of gravitation. He is playing with Adi, turning in the wind generated by the sails: 1, 2, … 5 tours, before leaving ! Adieu, l’artiste !
Midnight, middle of my night watch. The wind totally shifted: it is now consistently blowing from the East. Back to her optimal setting, Adi is flying, surfing on the small swell touching her by the stern. She averages 9 knots, without asking me any adjustment. Exhilarating! I congratulate Adi and even surprise myself encouraging her with my hand on her stern; while I am seated behind the helm, head in the wind. It is said that sailing boats are alive, that they are ladies; and that the ones who do not believe it misunderstand everything. I think I am starting to understand…
« 4 days at sea, and he’s already thinking he’s Moitessier this … ! ». I can hear you from here! And you are probably right in a way. It seems that this virus is getting you very quickly… If Moitessier does not ring a bell, I wish you to have a friend like Romain, who will also make you discover “La Grande Route”.
Saturday 27th April 2019 :
We have just passed something at starboard that we could not formally identify, but that was looking like a lifeboat – or something like that. Crew ready, we jibe and change of tack as quickly as possible to try to find the UFO – Unidentified Floating Object. Heart is going a bit faster as we do not know what we will find, lost in the ocean. We see it again! We get closer… and understand we are rescuing a plastic pipe, attached to a wooden pole by fishing nets. We tack again to the North, laughing about what just happened.
This incident only disturbs our quite and perfect day. We have now widely passed halfway of the passage and definitely entered in the tropics. Jeans and warm jackets have been exchanged for shorts and T-shirts. Summer is coming! This strange feeling of living on a different timeline is growing.
Monday 29th April 2019 :
A consistent 3m swell, with a very short period, has been hitting us from South-East for 48 hours. Strong gusts up to 30 knots have been coming with it, from the same direction. They are the travelling consequences of a storm that passed much farther East, close to Fiji; we knew that this rough weather would get us. Nothing unmanageable. But it is moving a lot on the boat! And you cannot ask for a break to take your breath, of course. We take 3 ris in to minimize the mainsail surface.
The night watches are especially tiring, even more because the Moon is also abandoning me: Moonrise is now late in the night, after the end of my duty. Only the Milky Way, extended by Adi’s star-way, shyly lights the night.
While we are getting deeper in the tropics, flying fishes are joining us… We all have heard this name without really knowing what was behind; at least, it was my case. Now that I see them myself, the appellation is totally making sense: they jump out of the water to escape from their predators – here, Adi, even though she only wants to play with them…; and they fly, turn, dance in the air over tens of meters, frenetically flapping with their anamorphic fins. Eventually, their fish condition catches them, reminds them that their special shaped fins do not make them birds, and throws them back in the water they belong to. Most of them, blue colored and not bigger than a mackerel, fly in units from 5 to 30 members. Others, bigger – up to 50 cm; exhibit orange fins and seem to be lonesome flyers. Higher in the sky, boobies have joined the “real” birds waltz – my apologies Sir Flying Fish, despite your remarkable efforts, you do not fool us. Boobies are also excellent flyers: their raced body and V-shaped black tail wings confer them undeniable natural qualities. Though, the blue beck borne contrasts with the seriousness they are pretending to. Adi does not interest them, they do not waste time, we are just on their way. “I don’t have time; I have more important things to do. Try to catch me in the camera if you can !” Challenge accepted; challenge won – by Camille.
Tuesday 30th April 2019 :
Land ! It is 6am. In the first sunshine, an island appears at North. Anatom, the most southern land of Vanuatu’s archipelago emerges from the Pacific! 40 nautical miles are still separating us. After one week surrounded by water in every direction, the excitement is huge. While we get closer, its shape becomes clearer: high green hills stand up, taking roots directly in the ocean, and entirely covered by a dense rainforest. We pass the shallow coral reefs where the big swell is breaking and we enter in a bay, sheltered from winds and waves. We take the mainsail down and put the anchor in crystal clear waters, for the first time in 7 days.
Noon. We have arrived in Vanuatu. The passage lasted exactly one week from Opua to Anatom. Not an hour more; not an hour less. Neither movement nor noise anymore. What a strange feeling; we had almost forgotten that it was possible.
On the shore, at 300 meters from us, a small village is quietly living. Few colored barks and pirogues moored in the sand; huts made of wood, bamboos and coconuts leaves, some of them of bricks, directly built on the beach, in the shadow of the forest diving in the sea. We can see locals on the beach, which seems to be the only “street” of the town.
Officially, we are not allowed to go onshore – there is no custom service on this small island, of course. But temptation is too strong. With Captain Frank’s benediction, we jump from the deck and swim to the beach.
Morning morning, Vanuatu !
Comments